Quand on entre chez les Manoukian, rue Desrochers, le décor harmonieux de la demeure saute aux yeux. «Normal, je suis décorateur de métier, précise rapidement le propriétaire de la maison, Nichan Manoukian. Profitez-en bien, parce que nous nous apprêtons à vendre. Nous n’avons plus le choix, on nous prend pour des criminels.»
La semaine dernière, des accusations de traite de personne, de rétention de documents de voyage ou d’identité et d’en avoir tiré des avantages matériels ont été portées contre M. Manoukian et sa conjointe, concernant une jeune Éthiopienne de 29 ans, qui habitait avec eux depuis plusieurs années.
Lors de la visite du Courrier Laval à leur domicile, hier matin, M. Manoukian, sa femme Manoudshag Saryboyadjian, ainsi que deux de leurs enfants, étaient sur place. Ils cachaient tous très mal leur flagrant manque de sommeil. «C’est que nous n’arrivons plus à dormir, raconte Mme Saryboyadjian. Notre nom et notre réputation sont fichus, et nous sommes maintenant associés à du trafic humain, un crime très grave. C’est difficile de voir comment nous allons nous en tirer. Heureusement, tous nos proches et nos voisins connaissent la vérité quant à cette histoire. Ils sont plusieurs à vouloir témoigner en notre faveur.»
Aide familiale?
Selon la Gendarmerie royale du Canada (GRC), la jeune présumée victime qui a porté les accusations travaillait apparemment comme aide familiale dans leur résidence. Elle aurait confirmé que ses «employeurs» l’obligeaient à travailler sans arrêt, qu’elle n’avait pas accès à ses papiers d’identité, qu’on ne la laissait pas quitter la résidence seule et qu’il lui était interdit d’utiliser le téléphone.
«Toutes ces affirmations sont fausses, assure M. Manoukian. Elle avait son propre téléphone sans fil au sous-sol, avec lequel elle appelait sa famille en Éthiopie chaque semaine. Elle possédait également une clé de la maison, du garage, et elle connaissait le code de sécurité. Quant à ses papiers, ils étaient dans un classeur près de sa chambre comme pour tous les autres membres de la famille, et elle y avait accès. Elle était comme notre propre fille.»
Accusations
Selon les membres de la famille Manoukian, il est impossible que ces accusations de trafic d’être humain aient été portées à l’initiative de la jeune femme.
«Elle nous disait constamment qu’elle nous aimait, raconte M. Manoukian. Au Liban, elle vivait déjà avec nous depuis huit ans car nous l’avions embauchée par une agence de placement. Quand nous avons quitté le pays, en 2004, c’est elle qui a décidé de nous suivre jusqu’au Canada. Elle était même allée visiter sa famille en Éthiopie avant de venir s’installer avec nous au Québec. On lui a trouvé des visas de séjour et de travail.»
Selon la Police de Laval, c’est une tierce personne, aussi d’origine éthiopienne, qui aurait incité la jeune femme à sortir de la résidence, après l’avoir rencontrée dans un lieu public. «Cette femme a téléphoné ici à quelques reprises, et elle était parfois agressive avec nous, raconte Manoudshag Saryboyadjian. On ne la connaissait pas. C’est probablement elle qui l’a poussée à porter des accusations de trafic humain, un an et demi après que la GRC l’ait retirée de chez nous.»
C’est en janvier 2006 que la GRC et la Police de Laval sont débarquées chez les Manoukian, pour en faire sortir la présumée victime. Depuis, la famille a toujours crue qu’elle lui serait retournée, jusqu’à ce que les accusations soient portées, la semaine dernière.
Comparution
La comparution du couple d’origine libanaise est prévue pour le 14 juin prochain, au palais de justice de Laval. La peine maximale est l’emprisonnement à vie. Même s’ils se disent confiants de détenir suffisamment de preuves pour démontrer que leur «fille» n’avait rien d’une esclave, ils se disent peinés d’avoir à subir ce processus.
«Nous passons pour des criminels aux yeux de tout le monde, alors que nous n’avons pas exploité qui que ce soit. Nous savons que les accusations ne viennent pas d’elle, et nous l’aimons toujours comme notre fille. Elle est encore la bienvenue à la maison», termine M. Manoukian.
Du côté de la GRC, on préfère ne pas commenter la version de la famille Manoukian. Il s’agit des premières accusations du genre au Canada depuis que la loi a été adoptée à cet effet, en 2005.