Sophie Trottier est candidate à la mairie pour Action Laval. Elle en serait également la cheffe, selon le parti, un fait qui semble toutefois moins évident.
Au Registre des entités politiques autorisées au Québec (REPAQ), accessible sur le site d’Élections Québec, c’est Archie T. Cifelli qui occupe officiellement cette fonction. Et ce, depuis le 26 février 2018. Il succédait ainsi au chef fondateur Jean-Claude Gobé, qui s’était retiré de la vie publique à la suite des élections de novembre 2017.
Cela dit, le principal intéressé minimise grandement le rôle et l’influence que lui confère ce statut en vertu de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (LÉRM) au sein de son propre parti. Dans les faits, sur le terrain, c’est Sophie Trottier la cheffe, insiste M. Cifelli.
Pratique inusitée
Bien que rien n’empêche un parti politique d’être représenté à la mairie par un candidat autre que le chef désigné au REPAQ, disons qu’une telle pratique est pour le moins inusitée.
De la trentaine de formations politiques municipales dûment autorisées à travers les 10 grandes villes du Québec, outre Action Laval, seule Longueuil citoyen – Équipe Jean-Marc Léveillé a opté pour cette structure de direction. À la différence près que dans ses communications, le parti longueuillois identifie, à juste titre d’ailleurs, systématiquement Jean-Marc Léveillé comme candidat à la mairie, jamais comme chef du parti.
Tout le contraire du côté d’Action Laval où, depuis l’annonce de sa nouvelle candidate à la mairie le 30 juin dernier, Sophie Trottier est identifiée comme la cheffe sur le site Internet du parti comme dans tous les communiqués publiés par celui-ci.
C’était la même chose avec sa prédécesseure, Sonia Baudelot. À la seule exception du communiqué publié le 25 juin où le parti annonçait que sa «candidate à la mairie quittait la campagne électorale» sans la moindre mention à la chefferie qu’elle aurait laissé en plan.
«La cheffe aux yeux de tous»
À la fois chef désigné, président du parti et candidat dans le district Val-des-Arbres, Archie Cifelli n’a aucunement l’impression de tromper l’électorat, lui qui affirme laisser toute la glace à Sophie Trottier.
«Le lien que nous faisons entre le chef de parti et le candidat à la mairie est une influence du système Westminster hérité des Britanniques, qui n’est pas une réalité au municipal au Québec», écrit-il dans un échange de courriels, précisant que «Sophie mène les idées et orientations du parti comme une cheffe» et qu’«elle a le leadership et le rôle du chef dans le cadre de la campagne électorale où elle brigue la mairie».
Lors d’un entretien précédent, il soutenait que «Mme Trottier est la cheffe aux yeux de tout le monde. Comme avec Mme Baudelot, c’est elle la cheffe. Elle a toute notre confiance.»
Pourquoi alors ne pas leur avoir conféré ce titre officiellement? «Pour le bien du parti politique, répond Archie Cifelli. Une façon de s’assurer que le parti va dans la bonne direction et que les affaires sont faites de la bonne façon». Artisan de la première heure d’Action Laval en 2013, il citera au passage le parcours de son collègue David De Cotis, soulignant qu’il a dû faire le deuil du Mouvement lavallois neuf ans après avoir fondé le parti «chez lui dans sa cuisine».
Au téléphone, il précisait d’entrée de jeu ne pas agir comme un chef. «Je suis candidat et président d’Action Laval. C’est tout.» Quant à Sophie Trottier, elle est entourée de l’équipe de direction – composée du caucus et de l’exécutif du parti – et a les coudées franches, assure-t-il.
Pour la cohésion et l’unité du parti, il juge «important que tout le monde soit d’accord», ajoutant que «la démocratie à la table, ça marche très bien chez nous». Il en veut pour preuve n’avoir à ce jour «jamais eu à intervenir, jamais» pour imposer ses vues.
Autre version
Tout autre son de cloche du côté de l’ex-candidate à la mairie du parti, Sonia Baudelot, qui garde un souvenir amer de son passage à Action Laval.
Contrairement à ce qu’avance M. Cifelli, elle n’a jamais été la cheffe de ce parti, soutient-elle. «C’était ingouvernable», confie celle qui remettait sa démission le 22 juin dernier, sept mois après sa nomination.
«Les statuts et règlements du parti sont très clairs: c’est le chef qui prend les décisions et le chef, c’est Archie, ce n’est personne d’autre», affirme Mme Baudelot, témoignant de son expérience.
Au mois de mars, quand surgissent les premières divergences d’opinion, elle veut restructurer le comité électoral et apporter certains changements au personnel du cabinet et de l’organisation de la campagne, ce qui lui est refusé, relate-t-elle. «Pour chaque décision, je devais passer par lui», se rappelle Sonia Baudelot, ajoutant que la seule décision prise de son propre chef lui avait été reprochée.
Enfin, elle souligne avoir été informée par le Bureau du Directeur général des élections du Québec (DGEQ) que sa lettre de démission n’était pas requise, la modification au REPAQ n’ayant jamais été apportée à la suite de sa nomination au poste de cheffe du parti, le 5 novembre 2020.
À Longueuil
Seul autre parti des 10 grandes villes du Québec où le candidat à la mairie n’est pas le chef en exercice, Longueuil citoyen – Équipe Jean-Marc Léveillé explique que ce choix a été fait pour des raisons purement pragmatiques.
Au moment de recruter son candidat à la mairie au cours de l’été, le conseiller municipal Xavier Léger était le chef désigné depuis décembre 2020, lui qui assumait l’intérim à la chefferie du parti depuis 2018. Or, pour éviter la confusion, il a été décidé que M. Léger demeure chef de l’opposition au conseil municipal et chef du parti, mentionne l’attaché de presse de la formation politique, Francis Dubreuil.
Et comment s’exerce le pouvoir bicéphale?
«C’est très simple dans un contexte électoral, dit-il. Le rôle de chef est très formel actuellement et le candidat à la mairie, lui, prend les décisions au niveau de la campagne, donc les orientations pour la plateforme et le choix des candidats. C’est le leader, même s’il n’a pas le rôle de chef de parti.»
Le porte-parole de Longueuil citoyen ajoute que si le chef signe les mises en candidature du parti en vue du scrutin du 7 novembre, il s’en remet aux décisions prises par le candidat à la mairie. «Advenant l’élection de M. Léveillé à la mairie de Longueuil, le processus va s’enclencher assez rapidement pour qu’il devienne le chef du parti», termine M. Dubreuil.
Rôles et fonctions
Tel que prévu par la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (LÉRM), le chef d’un parti politique autorisé a notamment pour responsabilités de nommer l’agent et/ou le représentant officiel et le vérificateur et de combler ces postes dès qu’ils sont vacants.
Quant au respect des règles en matière de financement politique, il lui incombe également de signer, conjointement avec l’agent officiel, la déclaration au sujet des rapports financier et de dépenses électorales du parti.
Il revient aussi au chef d’attester la déclaration de candidature de chaque personne de sa formation politique candidate à une élection.
«Dans les municipalités de 100 000 habitants et plus, le chef d’un parti peut faire des recommandations pour l’embauche du personnel électoral au président d’élections», indique la porte-parole principale du DGEQ, Julie St-Arnaud Drolet. Un privilège qui est cependant réservé au chef à la tête du parti au pouvoir et de l’opposition officielle, précise-t-elle.